- par JMR
- Jun 21, 2023
Musicien, compositeur, interprète, couturier et peintre, François Moulin, alias Boss Blow, fait partie de cette génération d’artistes qui refusent les cases toutes faites. Originaire de Guadeloupe, il a d’abord travaillé comme éducateur avant de choisir de se consacrer pleinement à l’art.
Depuis, il s’exprime par la musique, la peinture, mais aussi la mode, qu’il considère comme autant de mediums pour raconter une seule et même histoire : celle d’un peuple en résistance.
Très tôt passionné par le dessin, Boss Blow a véritablement plongé dans la peinture en fréquentant le Centre des Arts. Ses toiles, marquées par un langage visuel fort et intuitif, portent une empreinte presque viscérale où l’intime rencontre le politique.
Boss Blow ne peint pas pour séduire mais pour dire. Chaque toile est un cri, une revendication ou une réflexion sur l’identité caribéenne et les blessures coloniales. Son art, qu’il qualifie lui-même d’intuitif et instinctif, trouve son inspiration dans l’actualité sociale de la Guadeloupe, dans son histoire, mais aussi dans des colères collectives longtemps tues. C’est dans ce contexte que l’artiste a présenté une œuvre devenue emblématique lors de l’exposition « Exposé.e.s au chlordécone », consacrée au scandale sanitaire qui a marqué durablement les Antilles.
Ce choix n’a rien d’anodin : depuis des décennies, le pesticide toxique et cancérigène chlordécone a contaminé près de 90% des Guadeloupéens, nourrissant un sentiment d’injustice et d’abandon.
Parmi ses œuvres, l’une a attiré toutes les attentions : un tableau intitulé « Non-lieu », représentant un homme drapé dans le drapeau guadeloupéen tenant à bras levé la tête coupée d’un dirigeant français. Une peinture-choc, mais que l’artiste assume :
« Je n’ai peint qu’un Monsieur, pas le Président. Mon art est intuitif. On cherche à l’instrumentaliser. »
Pour lui, loin d’appeler à la violence, cette image symbolise le pouvoir du peuple qui reprend sa souveraineté. Une métaphore du rejet des oppressions et de la colère face à la décision judiciaire de Paris prononçant un non-lieu dans l’affaire du chlordécone.
Le tableau n’est pas passé inaperçu. Début 2025, l’Élysée a déposé plainte pour atteinte à l’intégrité de la personne et incitation à la violence.
Le 6 mai 2025, Boss Blow a été mis en examen dans le cadre d’un délit de presse fondé sur l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881. Selon la justice, son œuvre pourrait « inciter à commettre un crime » en représentant une décapitation.
Mais pour son avocat, Maître Patrice Tacita, il s’agit avant tout d’un « délit artistique » :
« Mon client ne fait que revendiquer sa liberté d’expression. Seul le tribunal correctionnel pourra juger du fond. »
L’affaire, largement médiatisée, a déclenché un débat brûlant sur la liberté d’expression.
De nombreux soutiens ont comparé l’œuvre de Blow aux caricatures publiées par Charlie Hebdo, où Emmanuel Macron a déjà été représenté décapité ou guillotiné. En Guadeloupe, plusieurs associations et collectifs culturels dénoncent une tentative de museler un artiste engagé et voient dans cette affaire la preuve d’une justice à deux vitesses, plus dure Outre-mer qu’à Paris. Boss Blow, lui, refuse de céder :
« Je ne me sens pas menacé. Je me sens attaqué dans ma liberté d’expression. Et je continuerai à peindre. »
Entre art, mémoire et justice Au-delà de la polémique, l’affaire Boss Blow met en lumière une vérité incontournable : l’art est un miroir qui dérange lorsqu’il dit l’indicible.
Ses œuvres, qu’elles plaisent ou qu’elles choquent, rappellent le rôle fondamental de l’artiste : porter la parole d’un peuple et questionner le pouvoir. Aujourd’hui, la justice tranchera. Mais qu’elle condamne ou qu’elle acquitte, une chose est certaine : le nom de Boss Blow est désormais inscrit dans l’histoire de la liberté artistique et de la mémoire antillaise.