- par JMR
- Jun 21, 2023
Victor Schœlcher occupe une place centrale dans la mémoire officielle de l’abolition de l’esclavage en Martinique et en Guadeloupe. Pourtant, une analyse critique et l'examen de l'histoire réelle révèlent que l’émancipation des esclaves ne fut pas uniquement le fruit de son action, ni celle du décret du 27 avril 1848 qu’il a rédigé.
Ce sont, avant tout, les esclaves eux-mêmes qui se sont soulevés pour conquérir leur liberté.
L'histoire institutionnelle met en avant le rôle de Schoelcher comme président de la Commission d’abolition et rédacteur du fameux décret de 1848. Mais la réalité du terrain est différente : l’attente de la promulgation du décret a précipité des soulèvements d’esclaves en Martinique, poussant à l’application anticipée de l’abolition dès le 23 mai dans l’île, puis le 27 mai en Guadeloupe.
Ce sont donc les actions directes et le courage des esclaves qui ont forcé la main au pouvoir colonial, et non l’initiative exclusive de Schoelcher. « La Martinique s’est emparée elle-même de sa liberté ».
Les multiples procès-verbaux et preuves documentent la participation active des esclaves dans leur émancipation, révélant une histoire de résistance et d’autodétermination.
Si Schoelcher est salué comme militant abolitionniste, il n’en demeure pas moins qu’il a évolué dans une idéologie coloniale paternaliste. Il a soutenu l’indemnisation des propriétaires à la suite de l’abolition – encore un geste en faveur des intérêts des anciens esclavagistes.
Schoelcher, initialement favorable à une abolition progressive, a assimilé les nouveaux affranchis à des « citoyens prolétaires », sans leur garantir la réparation économique ni l’accès à la terre.
Il était donc allié objectif des planteurs dont il voulait préserver la stabilité sociale par le compromis et le maintien du pouvoir économique.
Longtemps, la mémoire officielle a construit Schoelcher comme le « libérateur des esclaves », effaçant la réalité des luttes noires locales et des figures martiniquaises et guadeloupéennes.
Sa mémoire fut glorifiée dans les statues, les plaques et les programmes scolaires, jusqu’à faire de lui le héros unique de la cause.
Ce récit est aujourd'hui contesté : des mouvements militants dénoncent l’effacement de la résistance des esclaves et réclament la reconnaissance de leur rôle premier dans l’émancipation.
La vraie histoire de la Martinique et de la Guadeloupe doit reconnaître la centralité des esclaves dans leur libération. Victor Schoelcher n’a pas « offert » la liberté : il a été, certes, un acteur du processus, mais aussi un homme de compromis avec l’ordre colonial et les esclavagistes.
Se réapproprier cette histoire, c’est aussi redonner leur juste place aux combats et aux résistances du peuple antillais dans l’avènement de leur propre liberté.